L'ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE a tenu son assemblée
générale à Seattle du 30 novembre au 2 décembre. Il était question du fonctionnement
du commerce mondiale dans les prochaines années, et les négociations entre l'Europe et
les Etats-Unis s'annonçaient difficiles. Ce sommet a crée un mouvement International
sans précéddent dans l'histoire économique mondiale, à telle point que les
négociations ont en grandes parties échouées. Elles sont reportées à une date
ultérieure. Voici quelques réactions du monde politique, économique. En prime,
les propositions de la Confédération Paysanne de José BOVE pour une réforme de l'OMC.
Nous attendons vos réactions, qui seront publiées, bien sur.
LES
TEXTES FONDATEURS DE L'OMC : |

I - La mise en place de l'OMC
Succédant à l'Accord général sur les tarifs
douaniers et le commerce (Gatt), l'OMC a été mise en place le 1er janvier 1995, avec
l'entrée en vigueur des Accords de Marrakech, concluant le Cycle d'Uruguay. Elle a été
établie en dehors du système des Nations-Unies et compte actuellement 132 membres (124
pays ont signé les Accords de Marrakech) et à ce jour 31 pays ont déposé des demandes
d'adhésion restant à négocier (les plus importants sont la Chine, Taiwan, la Russie,
I'Ukraine, l'Arabie Saoudite, le Vietnam...). L'OMC compte environ 500 fonctionnaires et
dispose d'un budget de l'ordre de 120 M CHF (la France est le quatrième contributeur).
Son Directeur général, M. Ruggiero, ancien Ministre du Commerce extérieur italien, a
pris ses fonctions en mai 1995.
Outre que sa composition sera à terme beaucoup plus large que celle
du Gatt (qui comptait 128 Parties contractantes), l'OMC présente des différences
importantes avec l'Accord général :
- elle est une institution permanente dotée de son propre secrétariat
alors que le Gatt était dépourvu de fondement institutionnel.
- son domaine de compétence est largement plus étendu avec
l'établissement de nouvelles règles commerciales multilatérales pour des sujets
auparavant non couverts par l'Accord général : Agriculture, Services, Propriété
intellectuelle.
- l'Accord général était un instrument multilatéral mais de
nombreux accords plurilatéraux, à participation volontaire et limitée (entre 20 et 30
Membres) lui avaient été ajoutés, alors que les accords de Marrakech sont presque tous
multilatéraux (à l'exception des accords sur les aéronefs civils et sur les marchés
publics) et recouvrent des engagement auxquels tous les membres ont souscrits.
- l'OMC devrait permettre de mieux assurer le respect des règles
commerciales par un règlement des différends commerciaux plus rapide, automatique et
contraignant, à caractère juridictionnel (comprenant un Organe d'appel), tant en ce qui
concerne le respect des accords (lutte contre l'unilatéralisme) que celui de l'équilibre
des concessions commerciales négociées.
- l'OMC constitue un forum permanent de négociations : un accord sur
les technologies de l'information a été conclu le 13 décembre 1996, un accord sur les
télécommunications de base a été conclu en février 1997 et est entré en vigueur le 5
février 1998, un accord sur les services financiers a été conclu en décembre 1997.
II - Les principes fondamentaux du système commercial
multilatéral
Le système de l'OMC, comme avant lui celui du Gatt,
repose sur trois principes de base.
La clause de la nation la plus favorisée (NPF)
Cette clause (article I de l'accord marchandises
-GATT-, article II de l'accord services -GATS-, article 4 de l'accord propriété
intellectuelle -TRIPS-) stipule que tout avantage commercial accordé par un membre de
l'OMC à un autre pays doit être accordé à l'ensemble des membres de l'OMC.
Cette clause est inconditionnelle et ne souffre d'exceptions que
dans des cas très précis prévus par les accords de l'OMC :
- liste d'exceptions à la NPF déposées individuellement par les
Membres à l'occasion de la négociation des engagements spécifiques services (pour
protéger des régimes juridiques préférentiels ou de réciprocité bilatérale)
- accords régionaux (union douanière ou zone de libre-échange) : si
ces exceptions sont invoquées les accords régionaux doivent respecter un certain nombre
de règles sous le contrôle des membres de l'OMC
- préférences accordées aux pays en développement par le biais du
système de préférences généralisées, c'est-à- dire de manière unilatérale,
autonome et non consolidée.
Le traitement national
Au titre de ce principe (article III du GATT, article
XVII du GATS, article 3 de l'accord TRIPS), les produits ou services importés sur le
territoire d'un Membre ne doivent pas subir un traitement moins favorable que celui
réservé aux produits ou services nationaux (taxes, règlementation sanitaires ou
techniques, etc...).
En ce qui concerne le commerce de marchandises et la protection de
la propriété intellectuelle, le principe de traitement national est universel et
inconditionnel. Pour le commerce des services, il ne s'applique que dans les secteurs où
des engagements spécifiques en la matière ont été pris.
La consolidation des engagements
La "consolidation" des engagements signifie
que lorsqu'une mesure commerciale a été négociée comme consolidée (droit de douane,
règlementation applicable à la fourniture de services ou à l'accès au marché) elle ne
peut pas être modifiée dans un sens moins favorable, sauf à négocier des compensations
à accorder aux pays avec lesquels la consolidation a été négociée.
La consolidation est inscrite dans les listes (tarifaires pour les
droits de douane appliqués aux marchandises. d'engagements spécifiques pour les
règlementations relatives aux services), résultats des négociations multilatérales et
conservées par le Secrétariat de l'OMC. Ces listes ont valeur de traités
internationaux.
Dans le cas des droits de douane, cela signifie, par exemple, que le
relèvement du droit de douane au-dessus de son niveau consolidé, doit, après
négociation, être compensé par des baisses de droit sur d'autres produits. Si le droit
appliqué à un produit n'a pas été "consolidé" (on parle alors de droit de
douane autonome) il peut varier librement, à la hausse comme à la baisse. A l'intérieur
de son niveau de consolidation un droit de douane consolidé peut également varier
librement, sans donner lieu à compensation.
En ce qui concerne le secteur des services. les règles de
compensation après une déconsolidation, qui rendrait plus restrictive une
règlementation négociée et consolidée, n'ont pas encore été mises en oeuvre.
Les
réactions au sommet de Seattle: |

Comme prévu, la veille de
louverture du sommet de lOrganisation mondiale du commerce (OMC) a été
marquée par des manifestations, des actes de désobéissance civile et des problèmes de
sécurité", affirme, fataliste, le "Seattle Times". Le quotidien local
souligne cependant que les manifestations nont pas "entraîné de perturbations
importantes de la circulation dans la ville", avant de se réjouir de
"labsence darrestations massives de manifestants". De son côté, le
site internet local, "Seattle Insider", rapporte le coup de main des opposants
à lOMC contre un restaurant McDonalds. "La foule a brisé la devanture
du restaurant", rapporte-t-il. Puis il souligne que "José Bové, qui a commis
une attaque identique en France, était sur place. Le leader paysan a tenté de limiter
les dégâts." De son côté, le "Washington Post" a interrogé le maire de
Seattle, Paul Schell, sur ces manifestations : "Heureusement, les habitants de la
planète peuvent dialoguer sur des sujets aussi importants que le commerce mondial. Nous
avons tous besoin de travail et nous partageons le même environnement." Pour sa
part, le président du syndicat des transporteurs routiers, James P. Hoffa, estime que ces
manifestations "donnent un visage humain aux questions abordées par les experts de
lOMC. Elles ont aussi permis la convergence des syndicats, des écologistes et de
certains mouvements religieux."Enfin, le "Seattle Times" revient sur
lutilisation politique des manifestations qui pourrait être faite par le président
des Etats-Unis. Interrogé par le quotidien, un professeur de sciences politiques de
luniversité de Seattle, commente : "Bill Clinton pourra faire un splendide
discours sur le commerce mondial, tout en affirmant quil partage les craintes des
manifestants."
Courrier International
30/11/1999, Numéro 473
L'UE salue la décision de l'OMC sur la loi US 301
BRUXELLES, 23 décembre - La Commission européenne a
salué jeudi comme un "bon résultat" sa demi-défaite à l'Organisation
mondiale du commerce (OMC), qui a rejeté la plainte de l'Union européenne contre la loi
américaine 301 dont les Etats-Unis se prévalent pour sanctionner certains pays.
"C'est un résultat juste, une décision équilibrée pour un
cas difficile, mais, globalement, c'est une victoire pour le système multilatéral",
a déclaré dans un communiqué le commissaire européen au Commerce extérieur, Pascal
Lamy.
"Personne ne peut crier victoire", a-t-il ajouté.
Les différents conflits entre l'UE et les Etats-Unis (bananes,
boeuf aux hormones, Organismes génétiquement modifiés) ont conduit Washington à
utiliser les sanctions commerciales prévues par la loi 301 contre l'Union européenne,
qui l'a jugée incompatible avec les règles multilatérales de l'OMC.
Le comité d'arbitrage de l'OMC a refusé de condamner cette loi,
mais en a sévèrement limité l'étendue.
Les Etats-Unis ne pourront l'utiliser qu'en conformité avec les
règles de l'OMC et devront épuiser toutes les possibilités d'arbitrage multilatéral
avant d'imposer des sanctions.
Washington a estimé que sa loi lui donne une souplesse d'action
dans le cadre des règles de l'OMC et lui permet de prendre des mesures quand ces règles
ne s'appliquent pas, comme lorsque qu'un Etat ne fait pas partie de l'Organisation.
"Nous avons toujours soutenu que le chapitre 301 est compatible
avec nos engagements envers l'OMC et nous sommes donc satisfaits des conclusions du
comité", a déclaré mercredi la déléguée au commerce américain Charlene
Barshefsky./ML/YC
PROPOSITIONS
DE LA CONFEDERATION PAYSANNE |
Introduction
Si le lancement de l'Uruguay Round était passé assez inaperçu
dans l'opinion publique, la conférence ministérielle qui se tiendra à Seattle, du 30
novembre au 2 décembre, suscite beaucoup de débats, d'articles de presse, de
mobilisation militante....
Par son action contre le chantier de construction du Mac Donald's de
Millau, la Confédération paysanne a ouvert le débat et porté au grand jour les enjeux
de ces négociations.
La libéralisation des échanges sera au cur des discussions.
Durant l'Uruguay Round (de 86 à 94), ce sont les produits
manufacturés industriels qui étaient essentiellement concernés. Les négociations qui
vont s'ouvrir à Seattle vont toucher des secteurs essentiels comme l'agriculture, les
services, les biens culturels, la propriété intellectuelle, les produits forestiers, les
investissements...
La multiplicité des secteurs concernés, et leur importance dans
nos choix de société doivent mobiliser tous les citoyens conscients de ces enjeux et
fédérer les énergies pour que les populations pèsent dans ce débat.
Mike Moore, nouveau directeur général de l'Organisation Mondiale
du Commerce (OMC), dans un communiqué de presse du 2 septembre 99, fait état de ses
priorités pour ce nouveau cycle de négociations : " Souligner les avantages
q'un système commercial plus ouvert représente aussi bien pour les grandes nations que
pour celles qui sont plus modestes, et expliquer comment un tel système peut accroître
les niveaux de vie et créer un monde plus prospère et plus sûr ".
Au vu du bilan catastrophique du libre-échange, au Nord comme au
Sud, il nous faudra effectivement beaucoup d'explications !
Il nous faut surtout faire d'autres propositions porteuses d'espoir
pour les populations des deux hémisphères, en lien avec tous les acteurs sociaux
mobilisés. La Confédération paysanne a toute sa place dans ce débat de société,
primordial pour l'avenir de la planète et des générations futures. Elle doit
réaffirmer l'indispensable régulation des échanges commerciaux, le principe de
souveraineté alimentaire et le contrôle déterminé du politique sur la loi du marché.
I. DU GATT A L'OMC : DES BILANS INDISPENSABLES
1. Un peu d'histoire : libre échange et principes fondateurs
C'est en 1947, deux ans après la création de la Banque Mondiale et
du Fonds Monétaire International (accords de Bretton Woods) que l'accord général sur
les tarifs douaniers et le commerce (General Agreements on Tariffs and Trade : GATT) est
mis en place.
Sa philosophie économique et ses objectifs sont clairs : le libre
échange doit stimuler la croissance économique et contribuer à la prospérité. Des
accords multilatéraux devront aboutir à l'abaissement des barrières tarifaires des
marchandises. Le GATT et ses principes fondamentaux, prévus pour être provisoires, sont
toujours en vigueur ; ils ont été renégociés et "enrichis" au cours de huit
cycles (ou round) successifs de négociations. Les principes fondateurs du GATT, qui
restent ceux de l'OMC, portent en eux l'impossibilité de construire une économie
durable, des échanges équitables, dans lesquels se mettent en place des normes sociales
et environnementales acceptables.
Le concept central du GATT est celui dit de "produits
similaires", qui fait uniquement référence au produit en tant que tel, sans se
préoccuper des modes de production. C'est l'obstacle le plus important à toute
possibilité de conditionner le commerce à des normes sociales ou écologiques. La seule
exception à cette règle concerne des restrictions commerciales sur les produits
élaborés par des prisonniers. Mais le travail des enfants est complètement ignoré,
donc implicitement admis.
Le premier principe fondateur du GATT est celui de la "non
discrimination" intégré dans la clause de la "nation la plus favorisée".
Des concessions accordées à un pays donné pour un produit spécifique sont accordées
immédiatement et sans condition à un produit similaire provenant d'un autre pays.
Le deuxième principe repose sur l'égalité de traitement entre les
produits importés et les produits similaires d'origine nationale.
Ces principes peuvent être illustrés par le conflit en cours dans
le domaine de la banane.
Soixante dix pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP)
sont liés à l'Union Européenne (UE) par la convention de Lomé. Certains produits
provenant en partie de l'UE (Martinique, Guadeloupe, Canaries,
) sont payés aux
producteurs à un prix très supérieur au marché mondial. Les pays ACP bénéficient
d'un quota tarifaire de 857 700 tonnes de bananes. L'OMC a condamné en avril 99
l'organisation européenne du marché de la banane et autorisé les Etats-Unis à
appliquer des sanctions commerciales à hauteur de 191 millions de dollars. L'OMC ne se
soucie pas des milliers de petits planteurs menacés dans les Caraïbes, ni des ouvriers
agricoles exploités en Amérique latine dans les grandes plantations des multinationales
des Etats-Unis (Chiquita, Dole).
L'article XX du GATT admet que des Etats puissent effectivement
mettre des entraves aux échanges, à condition que cela soit justifié par la nécessité
de protéger la santé et la vie des personnes et des animaux, ou la préservation des
animaux. Depuis 1947, à chaque fois qu'un Etat a utilisé cette clause pour raison de
santé publique et qu'il a été contesté, il a perdu. Prochain jugement, celui sur
l'amiante. Le Canada, premier producteur au monde, a attaqué la décision française
d'interdire l'utilisation de l'amiante pour des raisons de santé publique. A qui l'OMC
va-t-elle donner raison ? à la France ou au Canada ?
2. Uruguay Round : intégration de secteurs stratégiques dans les
négociations
Le dernier cycle de négociation a démarré en 86 à Punta del Este
en Uruguay. Il a aboutit à la signature des accords de Marrakech le 15 avril 94 par 134
pays, pour 7 ans. L'acte final institue l'OMC (Organisation Mondiale du Commerce) le 1er
janvier 1995. Ces accords marquent une étape importante par l'accroissement des
prérogatives et des domaines d'intervention de l'OMC. Le libre échange reste plus que
jamais considéré comme l'outil le plus universellement efficace pour conduire à la
prospérité, à la richesse, au bien-être... ! Il ne s'agit plus simplement de réguler
les échanges commerciaux, mais d'impulser les mouvements économiques et d'imposer les
déréglementations.
Lors de cet Uruguay Round, quatre nouveaux secteurs stratégiques
sont intégrés aux négociations : l'agriculture, les services, la propriété
intellectuelle, l'investissement. Il s'agit bien là d'un changement fondamental puisque
ces domaines, habituellement laissés à la souveraineté nationale, concernent
directement les choix de société. 28 conventions balayant tous les aspects de la vie
quotidienne, des normes sanitaires à la réglementation du tourisme, et transforment les
arts et le vivant en marchandises comme les autres.
De plus, l'OMC se dote d'un outil répressif beaucoup plus efficace
: son organisme de règlement des différents (ORD) s'applique à tous les accords.
Auparavant, pour appliquer une sanction, il fallait l'accord de tous, y compris du pays
sanctionné. Autant dire que les sanctions n'étaient jamais appliquées. A l'OMC,
l'unanimité est également nécessaire ...mais pour choisir de ne pas appliquer la
sanction !
3. L'accord agricole de Marrakech : réduction des protections
douanières
Le secteur agricole a donné lieu, tout au long de l'Uruguay Round,
à un long bras de fer entre les USA et l'Union Européenne. Les négociations ont même
été suspendues en 90, suite à des désaccords sur cette question agricole. Les seuls
pays à intervenir un peu dans ce débat ont été les pays dits du "groupe de
Cairns" (Australie, Nouvelle Zélande, Argentine, Brésil, Canada...) qui se
définissent comme des exportateurs loyaux, donc sans aider leurs exportations. Quant aux
pays en voie de développement, ils n'ont pas pu faire entendre leur voix. Le 21 novembre
92, les USA et l'UE ont signé le préaccord de Blair House sur l'agriculture, ce qui a
permis de relancer les négociations.
L'accord agricole de Marrakech s'attaque aux barrières non
tarifaires pour faciliter les importations agricoles. Chaque pays doit rendre
transparentes ses protections douanières et les réduire de 36 %. Il doit permettre
l'entrée à droits réduits, sur son marché intérieur, d'au moins 5 % de sa
consommation.
Les pays doivent également réduire le volume de leurs exportations
subventionnées (de 21 %), ainsi que le montant des subventions (de 36 %).
Les soutiens internes à la production, classés en différentes
boîtes, sont aussi visés. La boîte orange contient les aides qui encouragent
directement la production (comme le soutien des prix), qui doivent être réduites. La
boîte bleue, créée spécifiquement pour protéger les politiques agricoles de l'UE et
des USA, regroupe les aides directes à la production comme les aides Pac. Jusqu'en 2003,
ces soutiens bénéficient d'une clause de paix, et peuvent rester en l'état. La boîte
verte rassemble les mesures découplées qui n'ont pas d'effets sur la production agricole
(mesures agri-environnementales, aides aux zones défavorisées, assurance revenu,
recherche publique) : elles ne sont pas soumises à réduction, et peuvent même
augmenter.
4. Bilan agricole : un mauvais accord pour tous les paysans du
monde
La réforme de la Pac, signée le 21 mai 1992, anticipait déjà sur
la signature du préaccord de Blair House quelques mois plus tard.
D'un côté, la baisse des prix des produits agricoles fixée au
mépris des paysans européens, de l'autre, et pour se mettre en conformité avec la
logique du GATT, une partie des subventions à l'exportation (boîte orange) était
transférée en aides directes au revenu.
C'est bien un type de politique agricole qui veut s'imposer comme
modèle unique, fondé sur l'ouverture des frontières, des prix bas et des soutiens
directs. Les prix agricoles, déconnectés de leurs prix de revient réel, entraînent un
véritable dumping économique. Cela se traduit au Nord (USA, UE, Japon) par
l'élimination massive de paysans.
De 92 à 98, un million d'actifs agricoles a disparu en Europe, dont
300 000 en France.
Cela se traduit au Sud par du dumping social (bas salaires, travail
des enfants, absence presque totale de protection sociale) et du dumping environnemental.
Ces pays en voie de développement (PVD) tentent en vain de glaner quelques micro parts de
marché au mépris de la protection de leurs ressources vivrières, minières ou
forestières.
Les pays du Sud sont les grands perdants de ces négociations. Ils
n'ont pas les moyens de financer des aides directes à leurs paysans et on leur refuse le
droit légitime à la sécurité alimentaire. Le délégué de l'Ile Maurice disait à
l'issue de la négociation : " Les PVD ont tout perdu dans cette négociation, mais
nous mettrons la tête sur le billot avec dignité " (Le Monde, 17-12-93).
L'Inde et le Pakistan, gros producteurs de textiles en coton, sont
obligés d'importer des fibres industrielles venant concurrencer leur production
nationale.
La Corée du Sud, ou les Philippines, autosuffisantes en riz, sont contraintes d'importer
du riz de basse qualité. Celui-ci importé arrive à un prix inférieur au riz local et
vient déséquilibrer le marché national. C'est toute cette production primordiale pour
le pays, et les nombreux petits paysans, qui sont déstabilisés sans aucun recours
possible. Cette politique peut mettre à mal également les productions des pays du Nord.
La politique européenne des quotas laitiers, permettant la maîtrise de la production,
est remise en cause par la contrainte d'importation d'au moins 5 % de sa consommation.
Ajoutée à la production intérieure de l'UE, l'offre devient supérieure à la
consommation et conforte les tenants du démantèlement d'une des rares politiques
européennes de maîtrise d'une production.
L'échec des accords de Marrakech est patent puisque l'OCDE (Organisation de coopération
et de développement économique) reconnaît que les subsides publics à l'agriculture ont
continué à progresser dans les 22 pays les plus riches.
Le Fair Act (Federal Agriculture Improvement and Reform Act),
nouvelle politique agricole des Etats-Unis pour la période 1996-2002, est un exemple
frappant de l'échec de ce type d'orientation, et devrait faire réfléchir.
Votée par le Congrès en 95, cette loi de programmation agricole se
voulait novatrice et base de négociation incontournable pour le prochain round : elle
repose sur la suppression de toutes les contraintes de production, donc la libéralisation
totale des volumes de production avec des aides directes forfaitaires, calculées sur une
référence historique.
Les résultats sont catastrophiques, puisque le Congrès a été
contraint de voter à plusieurs reprises des plans d'aides d'urgence, d'allégements
fiscaux, ou d'achats massifs d'interventions.
C'est un plan d'aides exceptionnelles de 8,7 milliards de dollars
qui a été voté en octobre 99 par les parlementaires américains. Les agriculteurs
américains devraient recevoir en 99 un montant record d'aides directes, compris entre 21
et 23,9 milliards de dollars, contre 12,2 en 98 et seulement 7,5 en 97 !
Après le lait, les céréales, la viande bovine, l'élevage porcin
n'a pas échappé à l'effondrement des cours (1,27 F le Kg vif).
Malgré une hausse de la consommation, la non maîtrise de la
production a provoqué une offre pléthorique et la disparition progressive d'éleveurs
indépendants au profit de grands élevages intégrés ou faisant produire sans contrat.
On pourrait dire cyniquement qu'il y a heureusement les exclus du
système économique et l'aide alimentaire pour écouler dans l'urgence une partie des
excédents.
L'Union Européenne doit donc se saisir de l'échec du "Fair Act" afin de
proposer une véritable alternative pour la production et la régulation des échanges
internationaux.
5. Bilan global : toujours plus d'inégalités
Les politiques combinées du FMI (Fonds Monétaire International), de la BM (Banque
Mondiale) et du GATT, puis de l'OMC pour favoriser l'ouverture des marchés et accroître
la libéralisation des échanges, a depuis 20 ans environ des conséquences dramatiques
que l'on ne peut ignorer : les écarts de revenus dans les pays développés ne cessent de
grandir, et le fossé entre pays du Nord et pays du Sud se creuse un peu plus chaque jour.
L'augmentation des grosses fortunes au Nord est spectaculaire : les 3 personnes les plus
riches du monde (dont Bill Gates) possèdent une fortune supérieure aux PIB (produit
intérieur brut) combinés des 48 pays les moins avancés.
Les 225 personnes les plus riches au monde détiennent ensemble
l'équivalent du revenu annuel de 47 % des habitants les plus pauvres de la planète, soit
2,5 milliards d'êtres humains (rapport mondial sur le développement humain 98).
La mondialisation qui impose une compétition féroce tire les
salaires vers le bas, pendant qu'une minorité profite des opportunités offertes pour
s'enrichir rapidement.
Dans le dernier rapport 99 des experts du PNUD (programme des
Nations Unies pour le développement) dénoncent ces inégalités criantes : les
privilégiés du club occidental de l'OCDE, soit 19 % de la population mondiale, assurent
71 % des échanges mondiaux. Quelques multinationales, par le jeu des
fusions/acquisitions, accumulent un pouvoir économique supérieur à celui de nombreux
Etats : le chiffre d'affaire de General Motors (164 milliards de dollars) est supérieur
au PIB de la Thaïlande ou de la Norvège.
Au Sud, seule une petite minorité s'enrichit grâce à la
globalisation des échanges. Aux Philippines, la mise en uvre de la libéralisation
par le gouvernement a provoqué une augmentation accélérée des inégalités de revenus.
Comment ne pas réfléchir et tirer les leçons d'un tel bilan avant
l'ouverture d'un nouveau cycle de négociations ? Les conflits armés, les drames humains,
les catastrophes écologiques sont les conséquences des politiques répétées du FMI, de
la BM et de l'OMC, provoquant misère, chômage, endettement important des pays du Tiers
Monde, migrations massives des campagnes vers les villes, puis des villes vers les pays du
Nord
.
La Confédération paysanne, comme plus de 1000 organisations de
plus de 100 pays, demande qu'en préalable à l'ouverture de toutes nouvelles
négociations commerciales au sein de l'OMC, soit réalisé un bilan des accords de
Marrakech et une évaluation de leurs conséquences sociales, environnementales et
économiques.
II. IL FAUT CHANGER LE FONCTIONNEMENT DE L'OMC
1. L'OMC échappe à tout contrôle démocratique
L'OMC est un organisme supra national basé à Genève, autonome par rapport au système
des Nations Unies.
Cette institution intergouvernementale comprend 134 pays membres.
Les adhésions de la Chine et de la Russie sont en négociation.
Les ministres du Commerce des pays membres se retrouvent dans des
conférences ministérielles (c'est le cas du 30/11 au 3/12/99 à Seattle), qui décident
de l'organisation et de la gestion du programme de travail. Sans appareil législatif,
l'OMC a été ratifié en France le 15 décembre 94 par les parlementaires parce que la
constitution l'exigeait, ce qui n'est pas le cas en Grande Bretagne par exemple.
Mais les députés français ne reçurent les 550 pages du document
qu'une semaine avant le vote de l'accord final instituant l'OMC ! Le ministre du Commerce
Extérieur du gouvernement Juppé (Jean-Marie Rausch) avoua même n'avoir pas compris
grand chose à ce document fastidieux.
Les prérogatives des Etats sont en fait transférées à des
bureaucraties soumises continuellement aux pressions des entreprises transnationales et
des spéculateurs financiers. La Chambre de Commerce International se vante ouvertement
" d'exercer une influence sans égale sur les négociations de l'OMC ".
Trois organes gèrent conjointement l'OMC.
1 ) l'Organe d'évaluation des politiques commerciales, qui se
compose de l'OMC elle-même, de la BM et du FMI. Dans ces institutions, les votes sont
exprimés au prorata des contributions financières des pays membres (1 dollar = 1 voix).
On imagine le poids des pays du Sud dans cet organe !
2 ) Le Conseil général, qui gère les affaires courantes, dans des
réunions souvent informelles sur les sujets sensibles, est encadré par les émissaires
omniprésents des acteurs économiques les plus puissants. Là encore, les pays pauvres
n'ont pas les moyens de suivre tous les travaux simultanés et sont obligés de choisir
leur sujet. Une quarantaine de ces pays n'ont même pas de représentation à Genève, ou
réussissent seulement à se payer un ambassadeur commun à plusieurs pays.
Les décisions doivent être prises au consensus, sans jamais de
vote. Le calendrier et le contenu des négociations est entre les mains du
"QUAD" (Etats-Unis, Canada, Japon, Union Européenne). Les technocrates du
Conseil général gèrent les affaires courantes sans contrôle démocratique.
3 ) Le 3ème organe au sein de l'OMC est l'organe de règlement des
différents (ORD), qui s'applique à tous les accords. Dans cette juridiction mondiale,
seuls les critères commerciaux sont pris en compte, et l'accord de tous est nécessaire
pour ne pas appliquer de sanctions ! Suite à une demande d'arbitrage, l'ORD nomme un
panel de trois juges sélectionnés par les Etats membres. Qui sont ces experts dont les
délibérations sont confidentielles et les avis anonymes ?! L'information est bloquée
par la nécessité d'obtenir l'autorisation du gouvernement possédant les sources
d'information pour y accéder.
Une fois de plus, les pays pauvres sont toujours perdants : n'ayant pas les moyens de
suivre ces tractations peu transparentes, des arrangements à l'amiable leur sont
proposés. Sinon, l'ORD procède à un calcul de représailles croisées, censé
équilibrer le manque à gagner évalué, par des sanctions et des taxes sur des produits
cibles choisis par le plaignant. Dans le cas du différent sur la viande aux hormones, ce
sont les experts américains qui ont établi la liste des produits surtaxés à 100 %,
pour compenser la perte de profit sur les exportations. Depuis son existence, l'ORD a
traité 178 plaintes dont une majorité concerne l'Europe et les Etats Unis (67 des USA
contre l'UE, et 42 de l'UE envers les USA). 40 % des dossiers concernent l'agriculture
(banane, crevette, viande hormonée...) et 15 % des produits dérivés de l'agriculture
(cuir, textile...).
A l'occasion du nouveau cycle de négociations qui s'ouvre à Seattle, l'OMC cherche
encore à accroître ses prérogatives. Il est inadmissible de laisser des technocrates
internationaux renforcer leur pouvoir, de les laisser naviguer dans un "no man's
land" juridique sans contrôle démocratique.
2. Pour une juridiction internationale indépendante
Nous réclamons :
· un moratoire sur toutes négociations qui étendraient la portée
et les pouvoirs de l'OMC ;
· une évaluation, avec la pleine participation de la société
civile, des règles et des pratiques de cette organisation ;
· sa subordination à la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme (DUDH) de 1948, et aux conventions internationales relatives aux questions
sociales et environnementales.
Deux pactes dérivent directement de la DUDH qui n'a pas de portée juridique directe :
· Le pacte sur les droits civils et politiques, qui détermine ce
que l'on appelle les libertés fondamentales pour l'individu et les peuples (liberté
d'opinion, d'association, de circulation...) et dont la Cour de Justice Internationale de
la Haye est un des outils d'application. La création du Tribunal Pénal International
découle également de la référence à ce pacte (Yougoslavie, Rwanda).
· Le pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels,
adopté en Assemblée Générale de l'ONU en 66, mais peu ratifié par les Etats, pas
même par la France.
Si l'on veut que les droits des personnes priment sur la logique des marchés, il est
indispensable que le règlement des conflits commerciaux soit assuré en référence à ce
pacte. Lequel devrait être complété par la notion de développement durable mis en
avant par la Convention de Rio en 1992.
Une juridiction internationale est à créer pour que le droit
international soit fondé sur la déclaration des droits de l'homme et sur ses textes
dérivés, et non sur le commerce et le droit des affaires.
Le respect des droits fondamentaux de la personne humaine, des
normes sociales, du droit des enfants, des accords et des conventions sur l'environnement
doit primer sur le droit commercial.
Dans ce sens, l'ORD (Organisme de Règlement des Différents) doit
devenir indépendant et détaché de l'emprise de l'OMC et des multinationales. Cet
organisme n'a pour référence juridique que les règles et accords de l'OMC, sans aucune
séparation des pouvoirs. Il doit donc être dénoncé et réformé.
Le fonctionnement de l'OMC en général doit être rendu plus
transparent, ne serait-ce que par la diffusion des documents en cours de négociation, et
par l'association des organisations non-gouvernementales à ces négociations. Les règles
de l'OMC n'ont rien d'inéluctables, elles doivent être changées.
3. Pour une réforme du Codex alimentarius
Créé par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation) et
l'OMS (Organisation mondiale de la santé) en 1962, le Codex alimentarius établit des
normes, des directives, des recommandations ou codes d'usages sur lesquels les Etats
peuvent s'accorder " dans le but de protéger la santé des consommateurs et
d'assurer la loyauté des pratiques suivies dans le commerce des produits alimentaires
".
Les responsables qui ont jeté les bases et défini les orientations
de ce Codex pensaient que si tous les pays harmonisaient leurs législations alimentaires
et adoptaient des normes approuvées à l'échelle internationale, ces questions
trouveraient une solution naturelle. Et que les obstacles au commerce et à la
libéralisation des échanges entre les pays seraient réduits, pour le plus grand bien
des agriculteurs du monde entier !
Le cycle de l'Uruguay Round marque une étape importante puisque
l'agriculture et l'alimentation entrent pour la première fois dans les négociations, et
que les participants reconnaissent que les mesures adoptées par les gouvernements
nationaux pour protéger la santé de leurs consommateurs peuvent se transformer en
obstacles déguisés au commerce et être discriminatoires.
L'accord SPS (accord sanitaire et phytosanitaire) par exemple
reconnaît les normes et recommandations établies par le Codex. Ce qui donne une
importance accrue à cette commission et suscite l'intérêt de nombreux pays pour ses
travaux. Les accords et arrangements commerciaux entre groupe de pays (Alena,
Mercosur,
) se réfèrent aux normes du Codex alimentarius qui sont même
mentionnées comme conditions requises à la signature de ces accords. Les directives de
l'UE invoquent maintenant fréquemment le Codex pour justifier certaines prescriptions.
Au sein de cette instance, les délégations nationales sont
largement, infiltrées par des représentants de l'industrie agroalimentaire ; ils sont
présents lors des sessions et font pression sur les débats. L'UE et les USA
représentent à eux seuls 60 % des délégués pour 15 % de la population. Il est
évident que les normes édictées ne vont pas dans le sens du droit des consommateurs à
des aliments sains et nutritifs, mais dans le sens unique des intérêts des industries
agroalimentaires.
En juin 1997, le Codex alimentarius réuni à Genève avait à
l'ordre du jour une demande inquiétante des Etats-Unis : il s'agissait d'interdire la
circulation internationale des produits élaborés à l'aide de lait cru. Les groupes
dominant le secteurs des produits laitiers tentent d'imposer leur règle du jeu :
monopole, industrialisation des fabrications, concentration de la production. La libre
circulation des fromages au lait cru doit bien sûr être garantie, mais les bassins de
productions traditionnels doivent être protégés par des Appellations d'origine
contrôlées et Indications géographiques de provenance.
Le Codex alimentarius, censé n'émettre que des recommandations, oriente en réalité le
commerce mondial. L'Union Européenne doit exiger une réforme urgente de cette instance.
III. PROPOSITIONS DE LA CONFEDERATION PAYSANNE POUR LES NEGOCIATIONS COMMERCIALES
INTERNATIONALES
Si un bilan des accords de Marrakech est nécessaire, s'il faut évaluer et réviser le
fonctionnement et les pratiques de l'OMC pour aller vers un réel contrôle citoyen de
cette organisation, la redéfinition de nouvelles règles pour les échanges commerciaux
est indispensable.
Lors de sa prise de fonction, le 1er septembre 1999, M. Mike Moore
invitait cyniquement les puissances commerciales du monde à faire tout ce qui était en
leur pouvoir pour intégrer les pays les plus pauvres au système commercial
multinational. Ce brave homme ne voit, bien sûr, de salut qu'à travers l'ouverture
accrue des marchés.
A. POUR LE DROIT DES PEUPLES A SE NOURRIR EUX-MEMES
L'abondance des biens atteint des niveaux sans précédent. Mais le nombre de ceux qui
n'ont pas de toit, pas de travail et ne mangent pas à leur faim augmente sans cesse. La
planète produit assez pour nourrir tous ses habitants. Le consommateur des pays
occidentaux est incité à manger toujours plus, et se préoccupe d'obésité, pendant que
30 millions de personnes meurent de faim chaque année, et que 800 millions d'êtres
humains souffrent de sous alimentation chronique.
1. Vers la délocalisation des productions
L'Union européenne a fondé sa politique agricole au début des années 60 sur l'objectif
essentiel d'assurer son autosuffisance alimentaire, en protégeant le marché intérieur
européen des concurrences extérieures. L'objectif prioritaire au niveau international
doit être le même pour tous pays ou groupe de pays : organiser sa sécurité alimentaire
et choisir son mode de développement agricole.
Les Etats-Unis ont accepté la mise en place de la préférence communautaire, en échange
de l'entrée sans droits de douanes à l'intérieur de l'Europe de ses productions de soja
et des sous produits de la transformation des céréales (les fameux PSC : produits de
substitution aux céréales). Cette concession qui semblait peu importante à l'époque a
été lourde de conséquences : développement d'un modèle de production de viande
industrielle essentiellement concentré près des ports de commerce, importation massive
de soja désormais brésilien produit aux dépens de l'agriculture vivrière locale,
impossibilité pour l'Europe de développer ses productions d'oléagineux limitées de
fait par l'accord de Blair House, grandes difficultés pour obtenir des produits sans OGM.
Toutes les productions européennes n'ont pas été concernées par
la mise en place d'organisations de marché. Certaines, comme les fruits et légumes, la
volaille, le porc, sont laissées aux lois du marché, avec pour conséquences la
destruction d'emplois, la concentration des productions, la détérioration de la qualité
gustative. La non maîtrise des productions entraîne les producteurs dans la spirale de
la mondialisation des échanges, avec des crises successives et des prix de plus en plus
bas, pour le plus grand profit des industries agroalimentaires ou des centrales d'achat.
Les transnationales de la production agricole s'installeront là où
les conditions de production seront les plus intéressantes. Par exemple, les
établissements Doux, industriel français de la volaille, investissent au Brésil dans
des productions de poulets industriels, annoncent déjà un coût de production inférieur
à 2,30 F/kg et prévoient le même développement en production porcine. La
délocalisation des productions à l'échelle mondiale se prépare, avec la
spécialisation de certaines régions dans certaines productions (la viande industrielle
dans le Mercosur, pour nourrir les pauvres du Nord et du Sud, et les productions à valeur
ajoutée en Europe, pour les riches du Sud et du Nord ?).
2. L'indispensable protection à l'importation.
La protection à l'importation est d'autant plus forte que les pays sont plus
industrialisés. Les pays occidentaux les plus protégés à l'importation sont
globalement ceux dont le niveau de vie moyen est le plus élevé, où les inégalités de
revenus sont les moins fortes et dont l'aide publique au développement du Sud est la plus
importante.
Les seuls pays du Sud à s'être industrialisés sont ceux ayant
protégé fortement leur agriculture. La Corée du Sud par exemple, où le prix du riz
était 8 fois supérieur au prix mondial (en 91-93). Suite aux décisions de l'Uruguay
Round, il n'est plus que de 3,4 fois supérieur en 98. Le faible développement agricole
de l'Afrique Noire s'explique en partie par le fait qu'elle n'a pas protégé son
agriculture. L'Afrique Noire compte encore 65 % d'actifs agricoles et l'absence
d'industrialisation ne lui laisse pas d'activité alternative. Des possibilités
techniques existent pour développer son autonomie alimentaire.
Sans réelle protection aux importations, les cultures et les
paysans africains ne pourront pas résister à la concurrence de nos productions aidées
et de nos excédents subventionnés.
L'Inde a lancé depuis plus de 10 ans un vaste programme visant son
autosuffisance en oléagineux. De récentes ouvertures aux importations de soja ont fait
baisser de 13 % les prix intérieurs et de 30 % le prix de l'huile de soja, puisque le
prix à l'importation est inférieur au coût de production intérieur. Ce sont les
producteurs et transformateurs indiens de soja qui en font les frais. De plus, il faut
noter que ces populations héritent du soja transgénique refusé en Europe ! C'est bien
par la protection du marché intérieur et par la constitution des stocks alimentaires
nécessaires qu'un pays peut lutter efficacement contre la famine. Force est de constater,
que des pays comme le Brésil, exportateurs de protéines végétales et importateurs de
produits alimentaires, sont incapables d'enrayer ce fléau pour cause de remboursement de
dette et de programme FMI.
Pour la Confédération paysanne, la souveraineté alimentaire doit
être un droit fondamental reconnu universellement. La protection à l'importation est
indispensable dans les pays occidentaux, comme dans les pays du Sud.
3. Sécurité alimentaire
Chaque pays, ou groupe de pays, doit pouvoir atteindre le niveau le plus élevé possible
de sécurité vis à vis des produits agricoles constituant la base de l'alimentation, et
ceci pour tous ses habitants. La sécurité alimentaire n'est pas qu'une affaire de
quantité.
Supposons qu'au Brésil, 1000 paysans cultivant 10 000 ha soient
expulsés et remplacés par une grosse entreprise agricole. Elle a les moyens de produire
plus en quantité, mais la sécurité alimentaire du pays est réduite. Cette entreprise
se tourne vers le marché mondial, et les paysans expulsés vont grossir les bidonvilles
urbains sans pouvoir acheter leur nourriture quotidienne.
La sécurité alimentaire doit garantir l'accès de tous à une
alimentation suffisante, de qualité, accès conditionné par l'emploi et le revenu pour
tous, l'accès à la terre pour les paysans les plus pauvres et un réel engagement
politique en faveur du développement. Favoriser les échanges entre zones excédentaires
et zones déficitaires entraîne un minimum de stabilité nécessaire à la réduction de
l'insécurité alimentaire. L'accroissement de l'offre alimentaire ne résoudra pas
mécaniquement les problèmes de sécurité alimentaire pour tous les individus.
L'insuffisance de pouvoir d'achat empêche une partie de la population de se nourrir
correctement.
Cette sécurité alimentaire est seule gage de paix et de stabilité
géopolitique.
4. Choix du modèle de développement agricole
De nombreux politiques et le lobby agricole s'arc-boutent pour défendre un soi-disant
modèle agricole européen. De quoi s'agit-il ? Est-ce celui de la vache folle, du poulet
à la dioxine, de l'agriculture hyper productiviste néerlandaise, du bois finlandais, ...
? Ce modèle ne veut rien dire. Il y a bien partout dans le monde une agriculture
industrielle destructrice d'emplois, d'environnement, de paysages, et des agricultures
paysannes diverses, largement majoritaires dans le monde. Chaque pays, ou groupe de pays,
doit pouvoir choisir son modèle agricole, en fonction des attentes des population. Et
doit donc pouvoir refuser certaines pratiques d'élevage ou de cultures en contradiction
avec ces attentes exprimées : OGM, clonage, hormones de croissance, antibiotiques...
Dans son refus d'importer de la viande bovine aux hormones, l'UE ne peut même pas se
retrancher derrière le principe de précaution et la santé publique. L'OMC a autorisé
les USA à prendre des sanctions commerciales pour 116,8 millions de dollars vis à vis de
l'UE, puisque celle-ci n'a pas pu démontrer la réalité scientifique du risque
sanitaire.
Il faut absolument renverser la charge de la preuve, c'est au pays
exportateur d'apporter la preuve scientifique de l'innocuité du produit, à long terme
pour la santé et l'environnement.
B. POUR UN COMMERCE EQUITABLE
1. Démystifier les prix mondiaux
Selon les promoteurs du libre échange, les prix mondiaux sont les seuls vrais prix sur
lesquels il est nécessaire de s'aligner. Rappelons que ces prix ne concernent qu'une part
minime de la production mondiale, de 6 à 10 % pour les céréales, les produits laitiers
et les viandes. Ces prix sont totalement déconnectés des coûts de production et très
largement financés par les contribuables. Le prix mondial n'existe pas, il résulte de
négociations entre acheteurs et vendeurs, de tout un ensemble d'aides publiques directes
et indirectes. Pour gagner des marchés et imposer leurs produits dans les pays du Sud,
les entreprises cassent les prix qu'elles relèveront après avoir éliminé les produits
locaux.
Les prix mondiaux ne prennent aucunement en compte les défaillances
du marché, les manquements aux droits de l'homme, ou les dégâts causés à
l'environnement. Ils restent très fluctuants, en fonction des variations de production
d'une année sur l'autre, (conditions climatiques imprévisibles) et par les variations
des marchés financiers instables. Le processus de libéralisation des échanges agricoles
n'a pas rendu les marchés mondiaux plus stables ; et l'approvisionnement des pays
déficitaires, notamment les plus pauvres, n'est pas garanti.
Un commerce équitable ne peut être fondé sur de tels prix
mondiaux.
2. Des échanges commerciaux loyaux impliquent l'interdiction de
toute forme de dumping
Les prix des produits, agricoles ou non, ne doivent pas être bas
parce qu'ils s'affranchissent de considérations sociales ou environnementales. Il faut
tendre vers une harmonisation des conditions sociales par le haut : interdiction du
travail des enfants, respect des droits syndicaux, vrai statut pour tous les travailleurs,
hommes ou femmes, et prix de vente permettant un revenu décent.
3. Les situations de monopoles ou quasi monopoles sont
incompatibles avec la notion de commerce équitable
Pour de nombreux produits, ou dans des domaines aussi vitaux que l'accès à l'eau,
quelques transnationales contrôlent la majorité des échanges. Par exemple, Vivendi en
France a mis la main sur des secteurs primordiaux comme le traitement et la gestion de
l'eau, des déchets, sur la communication ou la gestion d'hôpitaux...et augmente sans
cesse son emprise dans les pays du Tiers Monde. Aux USA, après sa fusion avec
Continental, Cargill exportera 40 % du maïs, 1/3 du soja, 20 % du blé. Son alliance avec
Monsanto lui donne le contrôle de la chaîne alimentaire, "du germe à
l'assiette". Dans un tel système, l'agriculteur devient salarié à façon de grands
complexes agro-industriels.
4. Le transit des marchandises
Le commerce dans une même zone géographique doit être privilégié aux dépens de
trajets de plus en plus longs. Les pays du Sud font face à de grandes difficultés de
transport : mauvaises infrastructures, zones inaccessibles en saison des pluies.
Développer des transports moins longs est moins coûteux en énergie et permet de limiter
les spéculations et les dumpings.
C. POUR UN DEVELOPPEMENT DURABLE ET SOLIDAIRE
1. Un tel développement durable appliqué à l'agriculture doit reposer sur des échanges
internationaux équitables.
Ils doivent tendre vers une complémentarité des productions, et doivent tenir compte des
coûts de production comprenant la rémunération décente du travail paysan.
La notion de qualité doit être intégrée, basée sur des usages
locaux, loyaux et constants, afin de bénéficier d'une protection géographique et de
rendre indélocalisables des productions à forte valeur ajoutée.
Les lois libérales du marché détruisent irrémédiablement
l'environnement : les sols, les ressources en eau, l'air, tant sur le plan qualitatif que
sur le plan quantitatif. Elles portent également atteintes à la biodiversité et au
patrimoine génétique. Pour pouvoir transmettre aux générations futures une planète
viable et durable, le principe de précaution doit sans cesse s'appliquer pour protéger,
à long terme, les ressources naturelles et la santé des citoyens.
Ces principes planétaires de développement par la qualité, de
respect de l'environnement, et de reconnaissances réciproques doivent s'appliquer au Nord
comme au Sud.
Dans les pays en voie de développement, les Etats doivent garantir
l'accès à la terre pour défendre les petits paysans et la culture rurale. Ce n'est pas
dans la déréglementation, ni dans le développement des cultures d'exportations, au
détriment des cultures vivrières, que l'on résoudra le problème de la faim dans le
monde.
Dans les pays du Nord, le développement durable implique maîtrise
et répartition des productions entre toutes les régions et entre tous les paysans. Ce
n'est pas en cherchant des débouchés sur l'hypothétique marché mondial que l'on
résoudra le problème des surproductions. Les aides publiques doivent être plafonnées
par actif et réparties équitablement entre tous les producteurs.
2. Quelles exportations ?
L'Union Européenne dans son ensemble dispose d'un potentiel agricole important lui
permettant d'être exportatrice nette dans de nombreux domaines. Grâce à ce potentiel et
à ses savoirs faire, l'UE est au premier rang mondial pour plusieurs produits agricoles
à forte valeur ajoutée, principalement achetés par des pays riches (vins et spiritueux,
fromages, foie gras, par exemple). Ces produits correspondent à des productions très
encadrées, répondant à un cahier des charges précis, des zones géographiques bien
identifiées et permettant de mettre en valeur un savoir faire ainsi qu'une véritable
économie locale générée par la valeur ajoutée. Ces exportations doivent être
maintenues et développées. Elles ne sont pas subventionnées.
Par contre, le marché des produits basiques (poudre de lait, céréales, viandes
blanches, et bas morceaux de viandes rouges) est alimenté par des surplus agricoles des
grands pays producteurs (UE, Canada, USA) ou par les productions de pays ayant des
modèles agricoles fondés sur le ranching ou le latifundisme (Australie, Nouvelle
Zélande, Amérique Latine). Les cours de ce marché sont excessivement bas et le
resteront durablement. Ils sont soutenus part des aides directes et/ou des subventions aux
exportations très importantes, ce qui induit des coûts élevés pour le contribuable
européen, auxquels s'ajoute un coût environnemental de plus en plus inquiétant.
Il est irresponsable d'assigner à l'agriculture européenne la
mission de conquérir ce type de marché. L'Union européenne a tout à gagner en
supprimant rapidement toutes les subventions aux exportations de ces produits basiques.
C'est la condition d'une solidarité Nord-Sud exprimée dans la
"Charte de l'Agriculture Paysanne" de la Confédération paysanne : "
L'agriculture paysanne a une dimension sociale basée sur l'emploi, la solidarité entre
paysans, entre régions, entre paysans du monde, sinon les régions les plus riches et les
agriculteurs les plus puissants empiéteront sur le droit de vie des autres, ce qui n'est
pas gage d'équilibre et d'humanité. "
3. Les subventions directes aux exportations constituent un dumping
intolérable
Le découplage des aides est un nouvel habillage pour une conquête des marchés
alimentaires mondiaux. Les aides des boîtes vertes et bleues ne sont soi-disant pas
protectionnistes, donc autorisées de façon illimitée, car n'appartenant pas aux
mécanismes du marché, et ne faussant pas les échanges ! Quelle hypocrisie !
Indispensables pour le maintien des petites et moyennes exploitations, elles servent
aussi, parce qu'elles sont versées sans limite, aux grandes exploitations à réduire les
coûts de production, conquérir des marchés, et compenser les pertes de revenu agricole.
Seuls les pays occidentaux ont bien sûr les moyens budgétaires d'accorder d'importantes
aides directes. Les pays du Sud sont largement victimes de ce système pervers.
Ces aides découplées engendrent des distorsions de prix et de
nombreux effets induits. Le Président de la National Farmers Union, syndicat minoritaire
des USA, déclare : " Le changement au profit d'aides directes découplées a créé
des inégalités entre producteurs, productions et régions. Cela a entraîné des
distorsions dans les signaux faits à la production et la commercialisation...Les
paiements découplés conduisent souvent à la hausse du prix des terres. "
4. La réforme de la Pac de mars 99 ne va pas dans le sens d'une
agriculture durable
Les accords de Berlin, en misant sur la soi-disante vocation exportatrice de l'agriculture
européenne et sur le marché mondial, sont en totale contradiction avec la reconnaissance
de la multifonctionnalité de l'agriculture mise en avant dans la loi d'orientation
française, votée quelques semaines plus tard. C'est encore une fois la concentration des
productions, l'agrandissement des exploitations, l'élimination massive d'emplois paysans
qui seront favorisés. La compétitivité des exploitations communautaires les mieux
placées, qui reçoivent toujours la plus grosse partie des aides directes (malgré la
modulation française qui remet légèrement en cause cette tendance) accentue les effets
négatifs sur l'environnement, la qualité des produits et l'aménagement du territoire.
Ces accords de Berlin n'ont en rien modifié l'orientation du modèle productiviste et ont
bien mal préparé la position de l'UE pour le prochain "cycle du Millénaire".
Ils ont au contraire anticipé sur les exigences des tenants du grand marché planétaire
qui s'exprimeront à Seattle.
De plus, quelques accords de libre-échange sont déjà signés par
l'UE ou en cours de négociation avec de nombreux pays du Sud : pays méditerranéens,
Afrique du Sud, pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay)... Les
gouvernements de 15 pays membres de l'UE sont donc pleinement responsables de ce processus
déjà bien enclenché. Ils ont donné comme base de négociation à la Commission
Européenne les résultats des accords de Berlin. Le Copa (Comité des organisations
professionnelles agricoles, qui regroupe au niveau européen les homologues de la FNSEA et
de l'APCA) s'accroche également à cette position, bien campé sur le soi-disant
"modèle agricole européen", pour refuser à l'avance toutes autres
concessions. Mais il sait très bien qu'il faudra de toute façon aller au-delà de la
position de départ, comme dans tout cycle de négociations. Il faudra céder sur les
restitutions aux exportations comme sur la protection à l'importation.
5. Ce que doit être la stratégie de l'UE en matière agricole
L'UE doit s'engager à supprimer immédiatement toutes les subventions à l'exportation.
Elle doit faire reconnaître que la protection à l'importation est la forme de protection
la plus solidaire au plan international. Tous les pays sont obligés d'assurer une
certaine protection à leur agriculture, que ce soit à l'importation ou par des aides
directes. Le découplage des aides constitue un habillage pour poursuivre un dumping
intolérable pour les pays du Sud. L'UE doit faire entériner par l'OMC le droit des
peuples à l'autonomie alimentaire pour leurs produits de base et le développement
durable de leur agriculture vivrière.
IV. LE VIVANT NE SE MARCHANDE PAS
Semer du grain récolté pour reproduire et multiplier une variété végétale est un des
principes fondateurs de l'agriculture.
Se reproduire, se multiplier, c'est une propriété fondamentale du
vivant. Et l'agriculteur avait l'assurance que sa pratique de semer un grain récolté
était un droit.
C'était compter sans l'industrie des "biotechnologies" et
leurs semences génétiquement modifiées.
Les agriculteurs utilisant ces semences s'engagent par contrat à ne
pas ressemer le grain récolté, sous peine de poursuites, de procès....Ces semences
brevetées font du paysan un otage ou un pirate s'il passe outre cette interdiction.
Ainsi, l'essor des plantes transgéniques s'accompagne du contrôle,
voir de la destruction, de la propriété fondamentale du vivant : sa capacité à se
reproduire et à se multiplier.
Le système actuel des brevets fait supporter au contribuable et au
producteur le coût de sa propre dépossession. Les technologies de stérilisations
biologiques (Terminator) risquent de créer des monopoles sans fin sur des plantes et
leurs caractéristiques
L'industrie serait alors en mesure de contrôler toute la chaîne de
production alimentaire, du sillon à l'assiette.
Les multinationales des biotechnologies sont en train de
s'approprier un bien commun de l'humanité inappropriable par nature.
Gènes, espèces animales, végétales, font partie d'un patrimoine commun que l'on ne
peut laisser breveter, gaspiller, vendre et piller : de plus en plus de firmes
transnationales se voient accorder des brevets sur les végétaux, animaux,
micro-organismes ou dérivés découverts (et non inventés !) dans les PVD les empêchant
de fait de se protéger et de développer leurs connaissances traditionnelles, leur
recherche et leurs ressources biologiques. Le vivant ne se marchande pas.
Ce sera l'un des grands enjeux des négociations qui s'ouvrent à
Seattle.
V. DES DOMAINES ESSENTIELS DE L'ACTIVITE HUMAINE EN NEGOCIATION A
SEATTLE
Les négociations de Seattle dépassent bien sûr largement les
enjeux agricoles. La réunion ministérielle de fin novembre décidera de l'ordre du jour
du prochain round de négociation. En plus de l'agriculture, des domaines aussi essentiels
que la santé, l'éducation, l'alimentation, l'énergie ou la biosphère sont concernés.
Dans toutes ces dimensions de l'activité humaine, professionnelle et sociale, les règles
de la concurrence, du dumping, seraient généralisées. Les situations de monopole des
services publics seraient condamnées. Chaque pays serait traité sur un pied d'égalité,
sans considération pour ses réalités économiques, sociales culturelles.
L'AGCS (Accord Général sur le Commerce et les Services) sera à
nouveau sur le tapis.
Des secteurs primordiaux de la vie quotidienne sont ainsi traités,
comme la santé ou l'éducation. Pour bien mesurer la menace qui pèse sur nos choix de
société, l'exemple de l'éducation suffit : une des barrières identifiées dans ce
secteur est l'existence de monopoles gouvernementaux et les subventions élevées à des
institutions locales (écoles, collèges). C'est bien tout notre système scolaire public
qui est visé.
Le réexamen de l'accord SPS (Mesures Sanitaires et Phytosanitaires)
est également prévisible. C'est le principe de précaution qui est totalement menacé et
ne pourrait plus s'appliquer, la preuve de la toxicité devant être faite pour interdire
un produit.
On retrouve là les dossiers buf aux hormones, OGM, mais
également médicaments, vaccins... La charge de la preuve doit être systématiquement
appliquée dans le sens du principe de précaution. C'est bien à celui qui veut exporter
un produit de faire la preuve de sa totale innocuité.
Bien d'autres sujets peuvent être inclus à ce cycle de
négociations, comme la pêche ou les produits forestiers, faisant peser là aussi des
graves menaces sur les ressources forestières et maritimes. Les offices par produit et
toute forme d'organisation pour contingenter la production ou organiser sa
commercialisation risquent d'être atteints.
Les tentatives d'imposer l'AMI (Accord Multilatéral sur les
Investissements) voulant conduire à la libéralisation des investissements ont échoué
grâce à la mobilisation sociale. Mais il est évident que cette volonté conduisant à
la perte d'autonomie des Etats va resurgir sous une autre forme.
VI. RESISTER A LA MARCHANDISATION DU MONDE AVEC TOUTES LES FORCES
SOCIALES
La Conférence ministérielle de l'OMC qui va se tenir à Seattle fin novembre constitue
un enjeu majeur pour les peuples et l'avenir même de la planète.
L'OMC échappe à tout contrôle démocratique ; elle ne dispose d'aucune légitimité
élective pour décider en lieu et place des peuples, des nations, des Etats. Il faut
réorganiser le contrôle citoyen de cette organisation. " Face à la mondialisation,
un choix s'impose. Nous pouvons nous en remettre à des lois économiques prétendument
naturelles et, par là, abdiquer nos responsabilités politiques. Nous pouvons au
contraire chercher à ordonner la mondialisation et à construire ainsi la maîtrise de
notre destinée collective. (
) Ce monde a besoin de règles. Ce monde a besoin de
l'ONU. " Lionel Jospin, 24 septembre 1999, discours devant l'assemble générale de
l'ONU.
L'OMC a toujours refusé de prendre en considération la dimension sociale des échanges,
qu'il s'agisse d'emplois, de droits, de normes
Elle ne se soucie pas davantage de la
protection de l'environnement et des milieux naturels. Le sommet de Seattle a pour
objectif d'accélérer et de rendre irréversible la libéralisation des échanges, la
déréglementation sociale, de généraliser le pouvoir de la finance.
La Confédération paysanne ne peut s'en tenir à la seule défense
des intérêts agricoles dans ces négociations. Nous ne pouvons nous battre pour une
exception agricole qui abandonnerait la propriété intellectuelle aux marchands. C'est
bien à tous les domaines confondus qu'il faut résister pour éviter la dispersion
qu'attendent les ultra libéraux.
Les Etats Unis veulent négocier sujet après sujet pour engranger
au fur et à mesure des sous-accords. L'Union Européenne préférerait mettre sur la
table de nombreux sujets simultanément. Mais cela peut permettre à chaque pays de faire
"son marché", ce qui serait néfaste dans bien des secteurs.
La Confédération Paysanne entend bien peser et faire front avec de nombreux
mouvements engagés dans la Coordination pour un contrôle citoyen de l'OMC (CCC-OMC) et
signataires d'un appel regroupant plus de 70 organisations. Nous devons empêcher cette
course à la marchandisation totale du monde.
A la mondialisation, nous opposons une autre conception des
échanges internationaux, fondée sur la solidarité, la coopération, un commerce
équitable.
Contre le dumping social nous choisissons un développement durable,
centré sur les respect du travail, sauvegardant l'emploi, les droits sociaux et
démocratiques pour tous les peuples.
Dans le même but, la Confédération Paysanne refuse d'opposer de
façon agressive les agricultures du Nord et du Sud.
C'est dans la protection et le développement des agricultures
vivrières, par le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes, que nous avancerons dans la
solidarité internationale vers moins de famines, moins de pauvreté, moins
d'inégalités.
La Confédération Paysanne travaillera dans ce sens à Seattle et
après, avec les nombreuses organisations agricoles présentes , membres comme elle de la Coordination paysanne
européenne et de Via Campesina ,
DISCOURS DE MAXINE WATERS |

Le paysage de TACOMA nest pas seulement,
comme on voudrait nous refaire croire, des maisons isolées et des centres commerciaux.
Pas seulement des livreurs d épicerie ou des serveuses de fast-food. Pas, seulement
un monde de fric, de petits boulots et d'égoïsme. Non, mes amis. Par le hublot de
l'avion, j'ai vu le port de Tacoma, j'ai vu des grues, des usines, des ouvriers. J'ai vu
des gens honnêtes qui veulent vivre décemment et n'y arrivent pas. Des familles qui
veulent assurer l'avenir de leurs gosses. Une société qui a mis des décennies à se
construire et qui veut se perpétuer. Mais, face à cela, mes amis, j'ai aperçu un
gouvernement invisible. Des gens sans nom et sans visage. Vous savez, mes amis, ce que
cette OMC anonyme a fait aux planteurs de bananes de Sainte-Lucie, dans les Caraïbes ?
Ils exploitaient leurs bananes en famille et en vivaient petitement, grâce à l'Europe,
qui achetait un peu plus cher leurs produits. Moi, je connais des gens là-bas. Ils sont
venus me voir. Ils m'ont expliqué. La firme Chiquita leur a fait un procès. Chiquita,
autrefois, était connue sous le nom de United Fruit. Ils font pousser des bananes, eux
aussi, en Amérique latine. Ils oppressent, ils exploitent, ils polluent. Les
exploitations familiales des Caraïbes, ça les gênait. Chiquita a gagné son procès.
Les exploitations familiales sont condamnées. Je veux me battre pour elles comme pour
vous. J'en ai assez de ce monde où les êtres humains sont une Marchandise. Demain, nous
manifestons ensemble. Il faut qu'on vous entende, mes amis. Que les gens du monde entier,
devant leur télé, se disent : mon Dieu, les ouvriers américains, c'est quelque chose !
Il faut que nous passions le relais aux jeunes, qui n'ont jamais vu de grande manif dans
les rues de ce pays. Il faut que mon petit-fils, qui est écolo et qui sera là demain, à
Seattle, soit fier de nous. Il faut se battre.